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Conseil constitutionnel : « Il serait opportun que le président de l’institution soit choisi parmi des juristes aguerris »

Seuls des juristes aguerris devraient être nommés conseillers constitutionnels

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La présence de nombreux « politiques » parmi les membres du Conseil soulève de délicats problèmes d’impartialité. Les nominations prévues en 2025 pourraient être l’occasion de réformer le processus de désignation, estime la juriste Elina Lemaire, dans une tribune au « Monde ».

Conseil constitutionnel : « Il serait opportun que le président de l’institution soit choisi parmi des juristes aguerris »
Le Monde - Dimanche 9 et lundi 10 février 2025 - Tribune d'Elina Lemaire

À chaque vague de départs et de nominations, le constat est identique : la procédure de désignation des membres du Conseil constitutionnel conduit à politiser de façon excessive l’institution. S’ils sont effectivement nommés, les candidats aujourd’hui pressentis (Richard Ferrand, Renaissance, ancien président de l’Assemblée nationale, Laurence Vichnievsky, ancienne députée MoDem, et les Républicains Philippe Bas ou François-Noël Buffet, respectivement sénateur de la Manche et ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur), quelles que soient par ailleurs leurs qualités, ici hors de propos, ne permettront pas de corriger la tendance.

Cette politisation pose de nombreuses difficultés. Elle sème d’abord le doute quant à la capacité des conseillers constitutionnels à s’approprier la culture de l’Etat de droit, dont le respect est au cœur de la justice en général, et de la justice constitutionnelle en particulier. Peuvent-ils, une fois nommés, se défaire de leur culture (très politique) de la raison d’Etat ? Cette dernière ne continue-t-elle pas de les guider lorsqu’ils se prononcent sur le respect de la Constitution par le législateur ?

Cette politisation pose ensuite la question cruciale de l’indépendance des membres de l’institution à l’égard des autorités de nomination (également politiques : le président de la République et les présidents des deux Assemblées parlementaires). Le doyen Georges Vedel (1910-2002) parlait d’un « devoir d’ingratitude » des membres du Conseil à l’égard de celui ou de celle qui les avait désignés. S’il est nommé, M. Ferrand, « fidèle d’entre les fidèles » de l’actuel chef de l’Etat, sera-t-il en mesure de l’assumer ?

 

Le soupçon du conflit d’intérêts

La présence de nombreux « politiques » parmi les membres du Conseil soulève également de délicats problèmes d’impartialité. Fréquents sont les cas où tel membre peut être conduit à se prononcer sur la conformité à la Constitution d’une loi adoptée par ses amis de la veille. Plus problématique encore, un membre pourrait être amené à examiner, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, la conformité à la Constitution de telle disposition législative qu’il a combattue ou, au contraire, qui a été adoptée de sa propre initiative ou, à tout le moins, avec son soutien (comme parlementaire ou comme membre du gouvernement).

Comment écarter, dans ces conditions, le soupçon du conflit d’intérêts ? Comment ne pas considérer que le principe d’impartialité objective de l’institution n’est pas ruiné ? Rétorquera-t-on que les règlements de procédure du Conseil constitutionnel permettent à tout membre qui estime devoir le faire de s’abstenir de siéger ? Ce serait oublier que ce choix est discrétionnaire et non sanctionné. Quant à la procédure de récusation, également prévue, elle reste ineffective.

La procédure actuelle de désignation conduit aussi, et en conséquence, à écarter assez largement les (vrais) juristes du Conseil constitutionnel. A cet égard, on ne se satisfait guère des statistiques qui révèlent que, depuis 1958, la majorité des membres qui ont siégé étaient titulaires d’une licence en droit : ces mêmes conseillers appartiennent généralement à la catégorie des membres « politiques » et n’ont pas ou peu d’expérience professionnelle dans le domaine du droit. La plupart du temps, lorsqu’un ancien parlementaire ou un ancien ministre licencié en droit est membre du Conseil constitutionnel, c’est davantage à ses activités politiques qu’il le doit, plutôt qu’à sa formation universitaire.

Singularité française, l’absence de qualification juridique de la plupart des membres pèse lourdement sur la forme des décisions du Conseil (en contribuant à leur pauvreté argumentative) et probablement aussi sur leur fond. Elle place les membres dans une situation de dépendance à l’égard du service juridique de l’institution, dirigé par un membre du Conseil d’Etat voisin, alors que celui-ci ne dispose d’aucune forme de légitimité, à l’inverse des membres nommés par des autorités élues.

 

Modifier les textes

L’actuel président de l’institution, le socialiste Laurent Fabius, s’est lui-même ému de cette situation. Le 2 décembre 2024, lors de son discours devant l’Académie des sciences morales et politiques, il a préconisé d’instituer l’exigence d’une « expérience juridique solide » pour les futurs conseillers, ainsi que le respect d’un « délai de viduité (par exemple trois ans) » « pour les personnalités appartenant à l’exécutif ou au Parlement ». La vague de désignations de l’hiver, si les pronostics sont confirmés, ne va pas dans le sens de ces préconisations heureuses : soit les candidats pressentis ne sont pas juristes, soit ils sont ou ont récemment été parlementaires ou ministre.

Si les textes ne posent aucune condition à la nomination, rien n’interdit aux autorités compétentes de désigner des juristes pour siéger rue de Montpensier. Mais, à l’évidence, il n’est pas possible de s’en remettre au bon sens de ces autorités, pas plus qu’à celui des commissions parlementaires qui interviennent depuis 2008 dans le processus de désignation (pour une raison inexpliquée, celles-ci ne procèdent pas à un examen sérieux des candidatures).

C’est pourquoi, face à la résistance des pratiques, il nous semble indispensable de modifier les textes, afin d’y insérer l’exigence de qualification juridique des personnes éligibles aux fonctions de conseiller constitutionnel. Pour éviter de trop corseter les autorités de nomination, il serait par exemple possible d’exiger qu’elles soient choisies, pour partie, parmi les juges, les universitaires juristes et les avocats ayant au moins dix ans d’expérience professionnelle dans domaine juridique. Il serait également opportun de prévoir que le président de l’institution soit choisi parmi ces juristes aguerris – contrairement à ce qu’envisage Emmanuel Macron…

On nous épargnera, on l’espère, l’antienne sur le pseudo-corporatisme des juristes (et singulièrement des universitaires) qui prêcheraient pour leur chapelle. Lorsqu’il est question de la composition d’une juridiction – et non de l’équipe de France de rugby –, ils ne sont pas illégitimes à suggérer qu’il serait opportun d’y intégrer des « juristes ».

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Publié le 08/02/2025 ∙ Média de publication : Le Monde

L'autrice

Elina Lemaire

Elina Lemaire