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Conseil constitutionnel : peut-on se dire "sage" sans déontologie ?

Les nouveaux membres de la haute juridiction entrent en poste ce samedi 8 mars dans une institution qui, sous prétexte de défendre son indépendance, peine à imposer des obligations déontologiques et à prévenir les conflits d’intérêts, estiment René Dosière et Elina Lemaire, de l’Observatoire de l’éthique publique.

Conseil constitutionnel : peut-on se dire
Devant le Conseil constitutionnel, le 3 février 2025

Les vagues de départs et de nominations au Conseil constitutionnel se suivent et se ressemblent. Elles donnent lieu, tous les trois ans, à des tribunes indignées et à des mises en garde infructueuses de la part de juristes qu’on accuse de corporatisme pour balayer leurs arguments sans les avoir, ou si peu, discutés, ce qui est fort commode.

La focalisation sur les conditions de la nomination des membres du Conseil constitutionnel ne doit pas faire oublier un autre aspect sur lequel la «justice» constitutionnelle française accuse un lourd retard : celui de la déontologie de l’institution.

La «culture juridique» de la déontologie, qui s’est rapidement enracinée au tournant du siècle dernier et, plus encore, à partir des années 2010 en France, a très largement épargné le Conseil constitutionnel, faute pour ses membres de s’être illustrés comme des promoteurs de la déontologie dès lors que leur institution était concernée, ce qui constitue une importante différence avec les parlementaires. En effet, il y existe une combinaison entre le principe constitutionnel d’indépendance du Conseil et l’article 63 de la Constitution qui habilite le seul législateur organique à déterminer les règles de son organisation et de son fonctionnement, si bien que la «haute juridiction» intervient directement dès lors qu’il est question d’une réforme de son organisation, de son fonctionnement ou du statut de ses membres. Autrement dit, soit le Conseil élabore lui-même les règlements applicables à son organisation et à son fonctionnement, soit le Parlement est compétent mais sous le contrôle obligatoire du Conseil constitutionnel. Sauf à réviser la Constitution, il est donc difficile de réformer l’institution sans son accord.

 

Composition très politique

Malgré quelques avancées bienvenues, l’éthique du juge et de la justice constitutionnelle française restent encore très largement à inventer. En dehors du régime des incompatibilités, progressivement étendu et aujourd’hui très strict, les obligations déontologiques des membres du Conseil constitutionnel sont limitées. Ceux-ci s’engagent certes à exercer leurs fonctions avec impartialité, dignité et dans le respect du devoir de réserve. Mais afin de préserver l’indépendance de l’institution, le Conseil est seul habilité à vérifier que ses membres respectent leurs diverses obligations. Or, la dimension réduite du collège, l’absence de hiérarchie au sein de l’institution, ou encore la notoriété de certains membres (imagine-t-on en 2005 le Conseil sanctionner Simone Veil pour avoir décidé de «suspendre» ses fonctions afin de participer librement à la campagne référendaire sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe ?) peuvent inhiber le prononcé d’éventuelles sanctions.

Dans ces circonstances, il est urgent de renforcer, en amont, les mécanismes de prévention, notamment des situations de conflit d’intérêts. Ces mécanismes sont pratiquement inexistants, alors même que le Conseil constitutionnel, en raison de sa composition très politique, est un terrain propice à l’apparition de telles situations. Rappelons à cet égard que le Conseil est chargé, à titre principal, d’examiner la conformité à la Constitution des lois élaborées par un travail commun entre parlementaires et gouvernement. Or, la dernière vague de nominations a permis d’y faire entrer un ancien président de l’Assemblée nationale (Richard Ferrand), une ancienne députée (Laurence Vichnievsky) et un sénateur (Philippe Bas) !

 

Illégalité chronique

Les membres du Conseil constitutionnel sont aussi dispensés d’obligations déontologiques déclaratives (de situation patrimoniale et /ou d’intérêts), contrairement à la plupart des responsables publics, à tous les organes constitués ou à l’ensemble des juges (des ordres administratif et judiciaire). Cette dispense résulte d’ailleurs, il faut l’observer au passage, d’une décision du Conseil constitutionnel lui-même qui a censuré, en 2016, des dispositions instaurant de telles déclarations pour ses membres pour un motif procédural. Restent alors, en dernier recours, les mécanismes de déport ou de récusation qui sont, pour le premier, à la discrétion des membres, et pour le second, rarement utilisé.

Enfin, plusieurs années après la révélation en 2018 par l’Observatoire de l’éthique publique de l’inconstitutionnalité du régime indemnitaire des conseillers constitutionnels (un comble s’agissant des «gardiens» de la Constitution !), aucune réforme n’a pu aboutir. Rappelons en effet que la moitié de l’indemnité perçue par les membres du Conseil est versée sur le fondement d’une décision illégale, longtemps secrète, et prise par le gouvernement en mars 2001, qui en outre menace l’indépendance de l’institution (puisqu’un autre gouvernement pourrait décider de l’abroger). Une proposition de loi organique visant à légaliser cette rémunération tout en assurant l’indépendance du Conseil, ainsi qu’à mettre un terme au cumul d’une rémunération élevée avec des retraites importantes (comme le droit le prévoit pour toutes les autorités indépendantes), adoptée à l’unanimité des membres de la commission des lois de l’Assemblée nationale en février 2021, est restée en suspens faute d’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée.

Cette situation d’illégalité chronique est indigne et choquante au regard de la place et du rôle du Conseil constitutionnel dans notre système institutionnel. Le perfectionnement de l’Etat de droit gagnerait à ce qu’il y soit, enfin, mis un terme.

 

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Publié le 08/03/2025 ∙ Média de publication : Libération

L'autrice

Elina Lemaire

Elina Lemaire

L'auteur

René Dosière

René Dosière

Président