La sécurité globale
Perspectives juridiques & éthiques
La « sécurité globale » a défrayé la chronique française une année durant. Du dépôt de la première proposition de loi le 14 janvier 2020 à la promulgation le 25 mai 2021 de la loi pour une sécurité globale respectueuse des libertés en passant par la décision du Conseil constitutionnel du 20 mai 2021, le texte n’aura cessé d’animer de nombreux et profonds débats. Ceux-ci ont pu porter sur le rôle du Parlement dans l’élaboration d’un texte téléguidé par le ministère de l’Intérieur, sur la tentative de création d’un délit de « provocation à l’identification » peu clair, sur l’abandon de compétences régaliennes en matière de sécurité au profit de délégations ou d’externalisations au secteur privé, sur la place des outils numériques dans la sécurité publique, sur la protection des données personnelles dans une société du contrôle, sur la nécessaire moralisation du secteur de la sécurité privée, sur la place de l’éthique dans les réflexions sécuritaires, ou encore sur l’origine et le sens du concept fuyant de « sécurité globale ». Organisé pendant les débats parlementaires, le colloque virtuel du 26 mars 2021 visait à analyser et à contextualiser la proposition de « loi sur la sécurité globale » en s’appuyant sur la comparaison à l’international. Il s’agissait à la fois de réfléchir à la conformité du texte en cours de discussion au Parlement français aux standards internationaux en matière de droits de l’homme, au droit de l’Union européenne ou encore à la Constitution, tout en révélant les mouvements de fonds et dynamiques communes à plusieurs États. Ces évolutions sont liées à des conceptions sécuritaires de la société contemporaine parfois peu assumées, et rendues confuses par des discours juridiques et politiques nébuleux. En outre, les nouveaux modèles normatifs font massivement appel aux nouvelles technologiques, tout en faisant trop souvent l’économie d’une réflexion éthique quant à leur usage. L’ouvrage, qui s’inscrit volontairement dans une actualité brûlante, analyse ainsi sous les angles juridiques et éthiques le paradigme de la sécurité globale, le contenu de la loi et la conformité du droit français aux standards et droits internationaux.
La loi n°2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés n'échappe sans doute pas à cette tendance contemporaine ; bien au contraire. Si l'exposé des motifs ne fait mention que des conclusions du rapport d'une mission parlementaire de septembre 2018 à laquelle il fait suite, le texte intervient, formellement, au lendemain de faits divers dramatiques dont l'ont peut légitimement penser qu'ils ont influencé les débats : attaque au mortier d'un commissariat à Champigny-sur-Marne le 10 octobre 202, puis renversement d'un agent de la BAC dans la nuit du 13 au 14 octobre 2020 à Savigny-sur-Orge. Le 15 octobre, les syndicats de police étaient reçus à l'Élysée après l'avoir été par le ministre de l'Intérieur ; ils en sortaient satisfaits par les garanties fournies par le chef de l'État... lesuelles étaient officiellement déposées, avec la proposition de loi sur la sécurité globale, sur le bureau de l'Assemblée nationale le 20 octobre. Pour autant, la volonté de légiférer sur ce thème est antérieure : c'est le 14 janvier 2020 qu'une première proposition de loi "vers une sécurité globale" était déposée à l'Assemnlée nationale. Présenté par Alice THOUROT, Jean-Michel FAUVERGUE et Gilles LE GENDRE pour la majorité LREM, le texte a été retiré le 14 octobre 2020. Mais loin d'être abandonné, son contenu a été "regonflé" pour intégrer de nouvelles idées gouvernementales.
Fugurant parmi les nombreuses lois ayant fait l'objet de manifestations et de contestations ces dernières années, la "loi sécurité globale" ou "loi sur la sécurité globale" a soulevé de nombreuses oppositions. Elle est à notre sens topique d'une manière contemporaine de gouverner et de conduire les débats parlementaires, laquelle ne peut qu'interroger le juriste - comme le politiste et, plus largement, le citoyen.
Il n'est donc pas question que du virage sécuritaire que prend la société française depuis plusieurs années, ni même de droit parlementaire ou de relations entre le gouvernement et le Parlement. Le facteur "éthique", correspondant à un questionnement sur le juste et le bon dans une société et à un moment donné, est déterminant dans l'appréhension et l'étude de l'ensemble du processus de "fabrication" de la loi, mais également de la notion de sécurité globale et de ce qu'elle véhicule.
La journée d'étude du 26 mars 2021, consacrée à la proposition de loi Sécurité globale et qui est à l'origine de cet ouvrage, avait précisément pour objectif de débattre de ces éléments, et ce, alors même que la controverse faisait rage dans le débat public. Le fameux "article 24", devenu article 52 et par la suite censuré par le Conseil constitutionnel, cristallisait alors les tensions. Pourtant, l'ensemble du texte était - et est resté - susceptible de commentaires, tant au regard de ses objectifs (protéger les forces de l'ordre, poursuivre l'accompagnement technologique des services publics régaliens, moraliser le secteur de la sécurité privée, associer plus systématiquement d'autres acteurs que les forces traditionnelles aux missions de maintien de l'ordre et de la sécurité, ...) que de son contenu concret. Il a dès lors paru important de "figer", par une publication, les apports de cette journée. Aux interventions prononcées lors de cette journée ont d'ailleurs été adjointes d'autres contributions écrites qui viennent apporter un éclairage particulier, sur certains thèmes, qu'il a semblé pertinent d'adjoindre aux présents actes - par exemple concernant l'évolution de la sécurité globale aux États-unis ou la déontologie du secteur de la sécurité privée en France. L'inclusion d'une réflexion éthique, rendue possible par la participation de L'Observatoire de l'éthique publique et le soutien de la Fondation Anthony MAINGUENE, permet par ailleurs de s'interroger sous des angles différents sur les dispositions les plus contestées, mais également sur la philosophie générale du texte.
Gageons que cet ouvrage, qui s'inscrit dans un "moment" de la vie politique et juridique française et n'a d'autre prétention que celle de proposer une "photographie", fin 2021, de l'état des réflexions juridiques sur ce thème majeur, permettra de mieux saisir, mais aussi de comprendre et de dépasser, pour les années qui viennent, la crise sociale qui a mobilisé une partie des Françaises et Français en pleine pandémie de la Covid-19.
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Publié le 18/10/2022
L'autrice
Julie Gallois
L'auteur
Raphaël Maurel
Directeur Général