L'UE doit défendre le modèle européen de l'entreprise responsable
Fichiers
Comment allons-nous parvenir à articuler compétitivité et responsabilité des entreprises européennes ? La question est posée dans des termes nouveaux depuis l’arrivée de Donald Trump à la maison Blanche. Si, pour l’heure, l’Union européenne a fait le choix de reculer sur le terrain de la responsabilité avec sa législation « omnibus », elle aurait davantage intérêt à défendre le modèle européen de l’entreprise responsable.
L’économie américaine est très dépendante de l’économie européenne
Depuis des semaines, l’Union reste paralysée face à un président américain dicte au reste du monde son récit, ses règles du jeu et son agenda économiques. Le colosse américain a pourtant des pieds d’argile : avec une dette publique de 35 000 milliards de dollars, un déficit commercial de 1000 milliards et une société aussi inégalitaire que fracturée, le leadership économique des États-Unis demeure très relatif.
En vérité, les États-Unis sont très dépendants économiquement de l’Europe. Les entreprises américaines exportent chaque année près de 1500 milliards de biens et services vers le Vieux continent tandis les entreprises européennes détiennent près de 3 000 milliards d’actifs aux USA. Par ailleurs, l’UE est une alliée stratégique bien plus coopérative que la Chine.
Au regard de ce rapport de forces, nous devons sortir au plus vite de notre état de sidération et ignorer les diktats de la nouvelle administration américaine.
L’UE doit continuer à conjuguer compétitivité et responsabilité de ses entreprises
Afin de concilier compétitivité et responsabilité des entreprises européennes, quatre lignes directrices devraient guider l’action de l’Union : la préservation ; la protection ; l’innovation et la transformation.
L’Union doit continuer à accompagner et à amplifier le mouvement de responsabilisation des entreprises européennes qui a débuté il y a une vingtaine d’années.
Pionnière avec son livre vert de 2001 consacrée la RSE, l’UE a lancé le Green New Deal en 2019 en vue d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Elle a adopté en 2020 un cadre pour classer les investissements avec la taxonomie verte puis rendu obligatoire le reporting extra-financier avec la CSRD en 2022.
Elle a introduit le devoir de vigilance en 2024 avec la directive CS3D pour contrôler les risques de violation des droits humains et de destruction de l’environnement dans les chaînes d’approvisionnement des grandes firmes.
Dans le même temps, l’Union a été avant-gardiste en matière d’éthique du numérique en bâtissant un marché numérique unifié et en encadrant les plateformes et nouvelles technologies digitales grâce aux législations RGPD (2016), DGA (2020), DSA, DMA et Data Act (2022) ou AI Act (2024).
L’UE ne doit pas tomber dans le piège du tout-protectionnisme
L’Union doit protéger ses entreprises et son marché sans tomber dans le piège du tout-protectionnisme.
L’instrument anti-coercition (ACI) qu’elle a adopté en 2023, lui permet de répondre désormais de manière ferme et proportionnée aux droits de douane américains avec une batterie de mesures (restriction d’accès à son marché, à ses marchés publics ou sanctions commerciales notamment).
Le nouvel épisode de la guerre commerciale doit cependant nous faire comprendre, qu’au-delà de la politique de la concurrence, nous aurions intérêt à porter une politique d’indépendance énergétique et de réindustrialisation ambitieuse ainsi qu’une politique commerciale plus stratégique, fondées sur un Buy european Act qui protège nos marchés publics, le made in Europe et le fair made.
Faisons savoir aux États-Unis que nous allons nous tourner vers de nouveaux partenaires commerciaux et laissons aux entreprises américaines le soin de faire savoir à leur Président que ce virage, conjugué aux hausses de prix induites par le protectionnisme, sera néfaste pour leur commerce.
L’UE doit inventer les conditions pour gagner la bataille mondiale de l’innovation
Mais la meilleure des réponses économiques de l’UE ne doit pas résider dans la simple défense de ses intérêts économiques, elle doit reposer sur l’accélération de l’innovation.
Première chose : dialoguons mieux avec les entreprises qui nous demandent de prioriser les exigences sociales et environnementales les plus fondamentales.
Seconde innovation : mettons sur la table des centaines de milliards de dépenses publiques pour accélérer les révolutions vertes et numérique.
Troisièmement : donnons les moyens à la Banque européenne d’investissement pour qu’elle finance massivement les start-up.
Quatrièmement : relançons de toute urgence la stratégie de Lisbonne de R&D en prévoyant notamment des dispositifs pour cesser l’hémorragie des cerveaux vers les USA et attirer les talents américains. Encourageons en outre par tous les moyens les collaborations entre le monde académique et l’industrie.
L’UE doit inciter les entreprises à transformer leurs modèles d’affaires et de gouvernance
Parallèlement, l’UE doit continuer à inciter les entreprises à se transformer.
D’une part, en s’inspirant de l’organisation internationale du travail, nous suggérons la création d’une organisation européenne des entreprises qui aurait vocation à penser les nouveaux modèles d’affaires, de gouvernance et d’organisation du travail en collaboration étroite avec les acteurs de l’entreprise, les chercheurs et la société civile.
D’autre part, l’Union aurait intérêt à adopter un texte pour diffuser le modèle d’une société à mission européenne (ou Purpose driven company) s’inspirant de la sociétà benefit italienne (nées en 2016), de la société à mission française (2019) ou de la Sociedad de Beneficio de Interés Común espagnole (2022). À une époque où les salariés cherchent du sens, ce type d’entreprises en offre aux jeunes diplômés qui ne veulent plus travailler pour des entreprises qui polluent, extraient, exploitent. Mais surtout l’accélération de la transition environnementale et énergétique nous rendra moins dépendant des énergies fossiles des autres puissances.
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Puissent les entreprises européennes comprendre qu’elles ont intérêt à pousser l’Union à s’engager dans ces directions plutôt que de revenir au business as usual. Au nom du business, va-t-on se résigner à devenir climato-phobique ? À renoncer au multilatéralisme ? À ériger des murs ? À arrêter l’aide humanitaire ? À détruire nos États ? Si nous prenons ce chemin, l’économie européenne ne sera pas compétitive mais détruite. Restons calmes : gardons le cap de la responsabilisation des entreprises européennes qui est le seul choix sage sur le long terme.
Nos propositions
1) Ne pas défaire l’acquis communautaire en matière de responsabilité des entreprises
2) Adopter un Buy european Act qui protège nos marchés publics
3) Privilégier le made in Europe pour réindustrialiser les États de l’Union et le fair made avec nos partenaires commerciaux
4) Mieux dialoguer avec les entreprises européennes pour comprendre leurs attentes en termes de simplification des normes sociales et environnementales
5) Prévoir un plan de dépense massif pour accélérer les transitions écologique et numérique
6) Donner les moyens à la BEI pour qu’elle finance davantage les star-up les plus innovantes
7) Lancer une stratégie de Lisbonne 2 pour faire de l’Union l’économie de la recherche la plus compétitive du monde qui conserve les talents européens et attire les talents du monde entier, y compris les talents américains
8) Créer une organisation européenne des entreprises responsables (sur le modèle de l’organisation internationale du travail)
9) Adopter une directive ou un règlement européen pour promouvoir le modèle de la Société à mission européenne (Purpose drive company)
Fichiers
Publié le 14/03/2025
L'auteur

Matthieu Caron
Directeur du département Éthique des affaires
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